Mon atypie
Mon atypie

Mon atypie

Quand je reçois le message : « Seriez-vous tentée d’oser décrire votre atypie, vous aussi ? » Je me fais la remarque qu’il s’agit bien ici d’oser…
Mais oser quoi ? Oser dire ma différence ? Suis-je vraiment différente ? Atypique ?
Quand je lis le texte d’Ines, je suis en total accord avec ce qu’elle décrit… Et je décide de me souvenir…. Je vais bientôt avoir 4 ans, après les vacances, je vais commencer l’école, enfin ! Voilà des mois que j’observe ma grande soeur peiner sur la lecture… On dit « LA lecture » à la maison, ça semble être quelque chose d’important, inaccessible, compliqué mais nécessaire… Alors aller à l’école et avoir le droit de lire, je me réjouis !
Premier choc… A l’école, on colorie des citrons…. La lecture c’est pour plus tard, il ne faut pas aller trop vite dit la maîtresse… et le mot est lancé ! Trop vite !!
Évidemment, je lis depuis le premier jour d’école, c’est pour ça qu’on est là non ?
Et les années passent, je papote, je pose des questions « qui n’ont rien à voir avec le sujet » alors que moi, je le vois très bien le rapport… Pendant l’école primaire, je suis un peu à part, la tête dans les nuages, dans les bouquins… Je lis tout ce qui me passe sous la main. J’ai faim ! Faim d’apprendre, de comprendre… Je pose des questions et souvent la même réponse : Ne vas pas si vite, attends !
Puis arrive le cycle, mes questions s’affinent, ou s’agrandissent, ça dépend du point de vue… J’ai faim de savoir, je dévore les livres, les cours… Mais je n’ai pas les réponses. Je suis hors sujet, trop rapide, à côté… Alors je me désintéresse… les cours m’ennuient, ils cadrent ma pensée, me ralentissent… Moi qui n’ai jamais appris à apprendre, j’échoue. Ce n’est que plus tard que je réaliserais que j’échouais à répondre aux attentes, qu’apprendre fait partie de ma nature, mais je me serais cabossée quelques fois avant d’arriver à cette compréhension.
L’adolescence a quelque chose de poisseux… le monde est lent, les autres sont lents, je me débat dans la semoule. Toujours à côté, toujours trop ! Trop, trop, trop…
Je me sens à côté… Pas tout à fait comme les autres. Je fais des efforts, je tente de rire à leur humour, de faire comme si… Mais… C’est lent, je m’ennuie, alors je lis. J’ai toujours tordu les mots, commencé à écrire de droite à gauche, confondu les 3 et les E, été incapable de savoir dans quel sens pouvait bien aller la boucle du p… p ou q ? Alors je décide de tout mémoriser. Je lis des centaines de bouquins et je mémorise la forme de mots comme on observe la forme des arbres pour savoir duquel il s’agit. J’agrandis ma base de données… Pendant que les cours ont lieu, pendant que mes résultats scolaires restent moyens, j’agrandis ma bibliothèque d’images… les mots prennent forme dans ma tête comme des peintures dans une galerie. Je m’éloigne… Je ne suis plus avec les autres… L’école ne me convient pas, je suis trop… trop de questions, trop de digressions, trop d’idées, trop d’enthousiasme, trop de rébellion.
En même temps, c’est justement cela qui m’intéresse… J’aime les gens. En dehors de la structure, en dehors des règles, je parle avec tous…. J’apprends de chacun, je suis éblouie par les histoires, les expériences, j’arrive à voir chez chacun la petite lumière qui les fait avancer, je suis fascinée par le réseau immense qui relie les humains.
Je pars en voyage, mon sac sur le dos, j’explore, je découvre, j’apprends ! A ma manière, sans les règles de l’école, sans le carcan qui m’étouffe. Là, je rencontre des semblables… des débats interminables dans des langues inconnues, des rêves plein les têtes, de l’enthousiasme, de la culture, de la rébellion en pagaille. Chaque idée en amène cent autres, chaque personne se relie dans le réseau ! Le monde des possibles s’agrandit, je vois enfin de la lumière, je ne suis pas seule, ce que je pressens depuis toujours existe, le monde va vite et décuple les idées, les potentiels, les possibilités.
Je voulais quitter le système, je me dis qu’il faut simplement le changer. Et pour le changer, il faut le connaître depuis l’intérieur, s’y intégrer, le bousculer, le faire bouger, accélérer…
Alors je rentre, je fais un diplôme international en moins de deux ans, je fonce… Je réponds aux attentes pour pouvoir mieux les modifier…
Mais le système n’a pas très envie de bouger et encore moins d’être bousculé… Je me cogne aux incompréhensions et aux résistances… je retrouve mes compagnons de toujours : « Trop vite » et « trop loin »…
La vie avance et doucement, je me range, je m’arrondis, je me camoufle… Je fais comme si… Avec parfois quelques éclats, quelques sursauts… Même avec tous les efforts du monde, je dérange, je questionne… je suis toujours trop… trop petite, trop grosse, trop femme, trop enthousiaste, trop rebelle, trop intellectuelle, trop rapide, trop impatiente… alors je me tasse un petit peu plus, je fais encore plus doucement… plus lentement…. Je m’ennuie, je m’englue, je m’oublie…
J’ai 30 ans quand mon premier enfant arrive au monde. Il est tout petit, tout blond, tout fragile… Il hurle en permanence. Ses yeux regardent le monde avec curiosité, il observe tout, tout le temps, même quand il devrait dormir… La poussette ne lui convient pas, il veut voir. Déjà tout petit, il s’impatiente, il s’agace de ne pouvoir marcher, il mord les autres de ne pouvoir s’exprimer… Il ne prononce quasi pas de mots avant, un jour, de dire une phrase complète comme s’il avait toujours parlé. Je sens rapidement qu’il est différent, pas tout à fait comme les autres… Quand il rentre de l’école le premier jour, en pleurant, dépité parce qu’ils n’ont « rien fait d’autre que colorier un passage piéton ! », je sors de ma torpeur. Je me suis laissée disparaître, je me suis oubliée… Mais pas lui ! Alors je me bats ! C’est le parcours du combattant… Mon fils dérange, il est toujours en activité, il pose de questions, il est arrogant, dérangeant, dissipé, hors sujet… Et je connais ce chemin, il n’est pas hors sujet, il voit grand, il pense vite. Je découvre le monde des tests, des étiquettes… Mais parfois, il faut passer par là pour être entendue… Quand mon fils de 4 ans, à la sortie d’une séance où les mots « haut potentiel » ont été lâchés, il me regarde en me disant : « tu vois maman, je ne suis pas fou ! », mon coeur se tord… et doucement, je mets des mots sur sa différence. Mon fils est un zèbre et il va falloir le nourrir. Répondre à ses questions, ne pas laisser le système l’engloutir. Alors je me renseigne, je lis, j’apprends… Et je découvre un monde… Un monde où la pensée peut-être en arborescence, un monde où la rapidité peut-être un avantage, un monde d’hypersensibles, d’hyperconnectés un monde qui agrandit les possibles… Là où j’en avais vu quelques-uns, je découvre une multitude de gens qui assument leur différence, qui la revendiquent. Je découvre les multipotentiels, les groupes d’échanges, les coachs spécialisés… Je suis presque effrayée par la quantité.
Est-ce moi qui ne vois que ça sur les réseaux ? Est-ce une mode, un trend ? Y en a-t-il de plus en plus ? Le cerveau humain est-il en train d’évoluer vers un mode de pensée et de réflexion différent ? Si c’est le cas, quand atteindrons-nous la masse critique qui fera que les enfants qui pensent de la sorte ne se sentent plus différents, dérangeants ? Et les autres ? Serons-nous attentifs à ne pas les bousculer trop, à ne pas les blesser comme nous avons été blessés ?
En écrivant ces phrases, en utilisant le « nous », je m’apaise un peu… Mon cerveau va dans tous les sens, j’ai mille idées à la seconde, mes doigts peinent à suivre ma pensée sur le clavier, je dois trier, élaguer, ordonner, organiser… Pour communiquer, je dois adapter, traduire… mais quand les mots se posent sur mon écran, quand je relis mon écrit, je me dis que j’ai osé ! Osé décrire mon atypie, osé reconnaître ma différence…
Et vous ? Quelle est la vôtre ?

Sandra

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