L’intelligence
L’intelligence

L’intelligence

Mon père me disait souvent : « L’intelligence, c’est l’adaptation au réel. »

Je n’ai jamais été d’accord avec cette phrase. Comment le fait de s’adapter à une réalité pouvait-il être une preuve d’intelligence ? Et c’est quoi, le réel ? Est-ce la société ? Est-ce le contraire du rêve ? Je trouvais cette phrase complètement absurde à chaque fois que je l’entendais, mais je me taisais.

Ensuite, on m’a dit qu’un QI élevé était une preuve indéniable d’intelligence. Je détestais profondément cette échelle de mesure si injuste. On me rabâchait les oreilles avec le QI impressionnant de mon frère alors qu’on n’avait même pas daigné me faire passer le test. Je n’étais sûrement pas assez remarquable pour ça, et malgré les bulletins élogieux que je ramenais,mon frère était toujours inégalable, hors de portée, stratosphérique.


Les bonnes notes n’étaient apparemment pas signe d’intelligence, le résultat du test de QI vous plaçait au-dessus de tout, mais ce test m’était refusé, j’ai donc tout fait pour correspondre à au moins une définition que j’avais entendue : m’adapter au réel, ce qui signifiait coller en tous points à ce qu’on attendait de moi, même si pour ça je devais nier une partie de ce que j’étais.


J’étais sans saveur à côté de mon frère, je n’avais pas l’intelligence suffisante pour comprendre certains livres que lui avait déjà lus à mon âge, mais bien adaptée au système scolaire et aux attentes du monde adulte, c’était déjà ça… Avec une certaine facilité, je ramenais des notes de première de la classe, ce qui ne me rendait pas peu fière, pourtant ça ne suffisait jamais, mais je me suis acharnée. Longtemps…Pour être tout ce qu’on espérait de moi. Une petite voix me disait que ce n’était pas la solution, mais je pensais que ce sentiment disparaîtrait quand enfin on me reconnaîtrait à ma juste valeur.


Je ne lui ai jamais dit, mais je me suis toujours trouvée beaucoup plus intelligente que mon frère malgré le fait qu’on ne m’ait jamais considérée comme une surdouée. Pas parce que j’étais bien adaptée au système et lui non, mais parce que rien de ce qu’il faisait ou disait n’était cohérent. Je ne comprenais jamais où il voulait en venir, ça n’avait pas de sens, et pourtant, jusqu’à un certain âge, j’ai cru que cette absence de compréhension était seulement due à mon manque d’intelligence, même si au fond, je n’étais pas vraiment d’accord avec ce sentiment.


A 27 ans, j’ai appris ce que signifiait vraiment « neuro atypique » et « neuro typique » et ça a modifié ma perception des choses. J’ai rencontré des personnes au QI élevé et j’ai constaté que je comprenais ce qu’elles disaient. C’est idiot, mais réaliser que je pouvais suivre un chemin de pensée qui va si vite, ça m’a poussée à me questionner sur l’intelligence. Et j’ai compris avec le temps que le résultat du test de QI seul ne prouvait rien. Faire les bonnes connexions, sans raccourci, pour suivre un chemin de pensée cohérent, sans biais, sans détours, permet d’aller au plus loin de nombreux raisonnements, quelles que soient les connaissances qu’on peut avoir dans un domaine, on peut réfléchir à tout tant qu’on le fait avec une certaine honnêteté. Et mon frère n’en a jamais eu aucune. Ce n’est pas de sa faute. En fait, lui aussi a fini par brider son esprit pour s’adapter au réel.


Il ne suffit pas d’être neuro atypique pour être intelligent. Et un neuro typique peut être intelligent. J’ai mis 27 ans à le comprendre. Et ça a tout changé. Je n’ai jamais été nulle, ni stupide. Je me suis trompée d’objectif. Je voulais avoir de super notes pour qu’un jour on me remarque comme mon frère, qu’on me fasse passer ces foutus test, et que ce jour-là, comme à chacun de mes examens, je pèterais les scores de manière tellement impressionnante que mon intelligence serait indiscutable !


Mais j’avais tout faux de croire que l’intelligence résidait dans le fait d’avoir un résultat élevé à ces test. La petite voix au fond de moi a toujours su qu’elle était en chacun de nous, et qu’il fallait la stimuler, la pousser, la travailler, chercher à apprendre, à comprendre. Comme un muscle, l’esprit a besoin d’être entretenu si on ne veut pas le voir se ramollir et s’atrophier.


Les raisonnements incohérents mais repris par la plupart des gens pullulent partout autour de nous, pourtant ceux-là n’ont jamais reflété l’intelligence humaine à mes yeux. La société nous encourage à ne pas trop réfléchir aux choses en place, ne pas les remettre en question, à adhérer au « on a toujours fait comme ça », ne pas franchir les limites de la pensée par peur de l’inconnu, par peur de ne pas savoir. On préfère faire semblant de savoir, et les raisonnements deviennent des mensonges, qu’on se fait à nous-mêmes, aux autres, pour pouvoir exister, briller ne serait-ce qu’un tout petit peu au milieu de la foule, sans jamais s’interroger mais en allant toujours plus loin dans cette fausseté gluante, pour ne pas perdre la face. On accepte qu’un discours « se tienne » même s’il est plein de non-sens, seulement parce qu’il nous rassure, qu’on n’est pas obligé de tout changer ou de faire le grand saut dans l’inconnu, parce qu’il correspond à ce qu’on croit, ou à ce qu’on voudrait. L’intelligence, c’est aussi ne pas avoir peur de se tromper, et savoir le reconnaître quand ça arrive. C’est chercher honnêtement.


Je ne m’adapte plus « au réel » sans le questionner, je n’accepte plus les discours interminables sans chercher la cohérence, parce que pour moi, l’intelligence, ce n’est plus une question de QI, ni de notes, et encore moins d’adaptation, c’est une question d’entrainement, et d’honnêteté. C’est vouloir faire mieux, penser mieux, sans omettre les parties qui nous dérangent, prendre chaque élément en compte, sans forcément les accepter, mais savoir qu’ils sont là. Notre peur, notre ambition, nos émotions, nos convictions, toutes ces choses n’occultent en rien les
capacités de réflexion si on est conscient de leur présence et de leur influence. L’intelligence, c’est être conscient de nos limites, et avancer avec elles, les repousser parfois, mais toujours les reconnaître.

Bobine

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